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L'érotomanie au masculin

L'érotomanie au masculin

Auteur Marc Dugenie

Auteur validé par LetsTOlk
Marc Dugenie

- Psychologue clinicien

- Préparateur mental

- Accompagnateur sportifs et clubs

- Auteur de livres spécialisés

Publication : 12/12/2023

9 min

📕 Définition : érotomanie

L’érotomanie est l’illusion délirante et fausse d’être aimé par quelqu'un. Bien que ce trouble soit au premier abord cocasse et léger, il peut entraîner de graves complications dans la vie de tous les jours.

La pathologie est difficile à vivre pour les personnes érotomanes elles-mêmes, mais également pour leurs proches. 

L’érotomanie naît d’un profond manque affectif. Peut-être avez-vous déjà lu le livre « Misery » de Stephen King (il existe également un film du même nom). Celui-ci traite de l’érotomanie.

Le terme érotomanie provient du grec érotomania qui signifie amour fou. Pourtant, vous l’aurez compris, dans ce trouble il n’est absolument pas question d’une belle idylle. La folie est du côté du délire, non plus de l’amour.

Les 3 étapes du délire érotomaniaque

Les 3 étapes du délire érotomaniaque

Photo de Dan Freeman sur Unsplash

Le plus souvent le délire est dirigé vers des personnes ayant une forme d’exposition médiatique, mais une personne lambda peut elle aussi être l’objet du délire érotomaniaque d’autrui. Les stars connaissent bien l’érotomanie, elles savent par exemple que certains fans sont présents à chacun de leurs concerts (et pas seulement par amour de la musique).

Il n’existe pas de test pour diagnostiquer l’érotomanie. Cela s’explique simplement par le fait que nous n’avons pas besoin de test pour le reconnaître. L’érotomanie est une pathologie assez particulière et pouvant difficilement être confondue avec une autre. Un test pourrait voir le jour, mais ce n’est pas une priorité.

L’érotomanie suit les 3 phases suivantes :

👉#1 - L’espoir

La personne atteinte d’érotomanie va interpréter n’importe quel stimulus dans le sens de son délire. Un rien sera interprété comme un signe d’intérêt de la part de la personne vers laquelle se tourne le délire.

Imaginons qu’un homme érotomane porte son délire érotomaniaque sur une connaissance lointaine. Il suffit que la femme à 50 mètres de lui, sans l’avoir aperçu passe la main dans ses cheveux pour que celui-ci pense « c’est sûr elle se recoiffe pour moi, je suis vraiment en train de l’impressionner ». Pire, l’érotomane peut penser que si un acteur à la télévision a effectué un clin d’œil, celui-ci lui était spécifiquement destiné.

Le délire a très peu de prise dans le réel. C’est une perception erronée de la réalité. N’importe quel stimulus peut être interprété dans le sens du délire et parfois il n’y a même pas besoin de stimulus. L’acteur a la télé n’a pas fait de clin d’œil mais l’érotomane lui, « voit » le clin d’œil de l’acteur qui lui est en plus spécifiquement destiné.

Les réseaux sociaux sont un vrai terrain de jeu pour les érotomanes. Ils leur envoient de nombreux stimuli qu’ils vont pouvoir interpréter à leur guise. En effet, ces outils nous donnent l’impression d’être connectés même à des individus que nous ne connaissons pas ou peu. Ils offrent également la possibilité de surveiller ces personnes.

👉#2 - Le dépit

Évidemment l’érotomane essaie de rentrer en contact avec la personne sur qui se porte le délire.

Il a parfois du mal à comprendre pourquoi l’autre nous aime tellement (le délire), mais ne répond pas aux nombreuses sollicitations (messages, contacts réels, lettres…).

Encore une fois le délire éloigne l’érotomane du réel. Le dépit est ce qui ramènerait un individu non-pathologique à la raison. Chez les érotomanes, le délire reprend le dessus : « s’il ne me répond pas, c’est parce qu’il veut cacher notre relation au reste du monde ». Voici un exemple de pensée que créera le déliré érotomaniaque pour protéger l’érotomane de ce sentiment de désillusion d’un amour qui ne serait pas réciproque.

👉#3 - La rancune

Le dépit a trop duré. L’érotomaniaque passe de la tristesse à la colère. Il ne comprend absolument pas la réaction de l’être aimé : « Pourquoi ne vient-il pas vers moi ou me rejette alors que pourtant elle est folle amoureuse de moi ? ».

Lors de cette phase, les comportements de l’érotomane peuvent devenir plus dangereux. Ils peuvent par exemple menacer l’être aimé de se suicider (voire passer à l’acte), les harceler au téléphone, chercher à attaquer physiquement voire même tuer l’être aimé. Leurs comportements sont conduits par leur rancune qui ne cesse d’augmenter.

Il est toutefois important de préciser que les personnes atteintes d’érotomanie sont plus dangereuses pour elles qu’elles ne le sont pour les autres. Le risque de passage à l’acte envers autrui reste possible mais il est plus léger que celui du passage à l’acte envers soi-même.

Tous les délires (érotomanes ou non) sont comme des boules de neige qu’on pousserait dans une pente enneigée. Au fil du temps, le délire ne cesse de grandir, de s’alourdir et de prendre de plus en plus d’ampleur dans la vie de l’érotomane. Et inévitablement également dans la vie de la personne vers qui se dirige le délire érotomaniaque.

Derrière le délire se trouve la plupart du temps l’idée d’un complot. Ce complot peut être organisé par une personne tierce ou bien souvent par la société plus globalement. L’érotomane pense que la société empêche l’être aimé de lui témoigner son amour, mais que sans cela ils pourraient vivre une idylle passionnelle.

Masculinité et érotomanie

Masculinité et hyperphagie

Photo de Alan Hardman sur Unsplash

L’érotomanie est une pathologie très rare. On estime qu’elle toucherait environ 15 personnes sur 100 000.

 

On observe également qu’elle ne toucherait les hommes que dans 25% des cas. Toutefois, l’érotomane peut aussi être en couple avec le sujet de son délire et parvenir à mener une vie équilibrée. Ceci tend à sous-estimer (faiblement tout de même) les chiffres d’individus atteints d’érotomanie.

L’érotomanie étant intime, elle peut rester dans la sphère du privé malgré les graves conséquences qu’elle peut avoir (automutilations, suicide…). C’est une seconde raison qui tend à réduire quelque peu les chiffres concernant cette pathologie.

Néanmoins, il serait possible que des hommes ayant des comportements érotomaniaques puissent être classés dans la catégorie de la schizophrénie, tendant à baisser les statistiques du nombre d’hommes érotomaniaques.

La plupart du temps l’érotomanie est hétérosexuelle.

L’érotomanie et le délire de jalousie

Le délire de jalousie à l’inverse de l’érotomanie touche essentiellement les hommes. C’est une conviction délirante (hors du réel) d’être ou de pouvoir être trompé par sa compagne.

Ce délire s’installe généralement petit à petit et se développe au fur et à mesure que le temps passe. On retrouve ici encore la boule de neige qui ne cesse d’être poussé dont nous parlions précédemment en ce qui concerne les délires.

Au fur et à mesure de chaque moment de vie, l’individu trouvera des évènements du quotidien qui feront l’objet d’interprétations paranoïaques : « Tu as fait 2 kilomètres de plus que d’habitude pour rentrer de ton cours de Zumba, c’est parce que tu es allée voir ton amant ! C’est fini je ne te laisserai plus jamais les clés de la voiture et tu n’iras plus jamais à la zumba ».

Alors que sa compagne a effectué 2 kilomètres de plus simplement pour contourner une zone de travaux. Ce délire est fréquemment associé à une consommation abusive d’alcool. Cette consommation n’augmente pas les risques de survenue du délire, par contre elle augmente le risque de passage à l’acte envers soi, ou, en particulier dans ce cas de figure, envers l’autre.

Comment se comporter avec un érotomane ?

Comment se comporter avec un erotomane

Photo de Peyman Shojaei sur Unsplash

En tant que proche aidant

Si vous vous rendez-compte que l’un de vos proches correspond bien à la description faite de l’érotomanie dans cet article, il est recommandé que vous l'aidiez.

En effet, il sera compliqué pour l’érotomane de s’en sortir seul, n’étant pas conscient de son trouble la plupart du temps et le niant lorsqu’on le lui explique.

Ne cherchez pas à faire des affirmations face à l’individu érotomane pour lui faire prendre conscience de sa pathologie. Ne lui dites pas « tu es érotomane ». Questionnez-le plutôt sur son délire. Demandez-lui ce qui lui fait penser que le clin d’œil à la télé lui était spécifiquement destiné.

Restez patient, vous ne parviendrez pas facilement à faire prendre conscience de son trouble à l’individu. Vous devez l’inviter à aller consulter un psychiatre pour parler de ses symptômes (délire, automutilations, pensées suicidaires…).

L’érotomane est un individu en souffrance qui pourra fréquemment s’automutiler ou s’en vouloir face à la situation qu’il vit : aimer quelqu’un, être convaincu de son amour en retour, mais n’en percevoir aucun signe concret et tangible autre que ceux qu’il s’invente.

Résoudre ou réduire sa souffrance sera l’une de ses motivations. Pour l’aider, invitez-le à aller consulter un psychiatre.

En tant que personne objet du délire

Si vous êtes vous-même l’objet du délire d’une personne atteinte d’érotomanie, le seul conseil à vous donner sera de ne pas rentrer dans le délire de l’autre.

 

Ne jouez pas son jeu ou ne lui faites pas croire intentionnellement que vous pourriez peut-être avoir du désir pour elle.

Sachez également que tout ce que vous pourrez faire sera interprété par l’autre dans le cadre de son délire. Le refus, l’insulte ou l’agression physique seront tous interprétés comme des signes d’amour. Dans votre position la situation est également très délicate et complexe à vivre. N’hésitez pas à consulter un psychologue. Cela devrait vous aider à mieux vivre dans le labyrinthe dans lequel vous pouvez avoir le sentiment d’être pris au piège.

La plupart du temps la société juge les personnes érotomaniaques et plaint les personnes victimes sur qui se porte le délire. La souffrance de personne n’est à minimiser. Le but n’est pas de chercher à savoir qui souffre plus que l’autre dans ce cas de figure. Simplement, il ne faut pas non plus minimiser la souffrance des personnes atteintes d’érotomanie.

Quelles sont les causes de l’érotomanie ?

Les causes de l'érotomanie

Photo de Emma Frances Logan sur Unsplash

Il reste difficile d’expliquer les causes de l’érotomanie. Malgré tout, ce qui fait le plus consensus est une carence des besoins affectifs dans l’enfance. Si un individu n’a jamais ou très peu connu de signe d’affection de la part de ses parents il sera plus enclin a interpréter n’importe quelle petite attention comme un désir sexuel.

Les individus érotomanes étant souvent des femmes on a d’abord pensé qu’elles ont souffert d’un manque affectif venant de la part de leur père. A présent nous ne faisons plus de distinction entre l’amour venant du père ou de la mère dans ce cas de figure. La carence peut venir de l’un des deux parents ou encore des deux conjointement.

Il existe probablement d’autres causes à la survenue de l’érotomanie. Bien que la pathologie soit rare, la pratique clinique et la recherche permette de mieux en mieux comprendre les mécanismes sous-jacents de cette pathologie.

Érotomanie, bipolarité et schizophrénie

L’érotomanie est aussi appelée parfois syndrome de Clérambault en référence au nom de cet homme qui a beaucoup étudié le sujet.

Celui-ci classifiait l’érotomanie en tant que psychose passionnelle. Il la classe comme une conviction (d’être aimé) qui fait suite à une émotion intense ressentie et non pas comme une perception infondée (délire) classique du type paranoïa.

Dans le sens ou de Clérembault classe l’érotomanie en psychose, il la rapproche de la schizophrénie (bien qu’il la classifiait comme un délire persistant non-schizophrénique). Aujourd’hui, de récents travaux tendent à montrer que l’érotomanie découlerait d’un trouble sévère de l’humeur, notamment la bipolarité.

Classification de l’érotomanie dans les psychoses

L’érotomanie est une forme de psychose assez rare parmi l’ensemble des psychoses. On l’appelle la psychose paranoïaque passionnelle.

Il existe plusieurs classifications des psychoses qui ne correspondent pas entre elles. L’une des plus connues est la classification de l’école européenne de Emil Kraepelin. Il distingue dans un premier temps les psychoses aiguës des psychoses chroniques. La psychose aiguë dure moins de 6 mois (psychose post-partum par exemple) tandis que la psychose chronique dure plus de 6 mois.

L’érotomanie dure évidemment plus de 6 mois et lorsqu’elle n’est pas prise en charge, elle est présente tout au long de la vie. Au sein des psychoses chroniques, Kraepelin distingue les psychoses chroniques dissociatives (prenant une forme de schizophrénie et non-dissociatives.

L’érotomanie suit cette classification :

Psychose > Psychose chronique > Psychose chronique non-dissociative > Psychose passionnelle (érotomanie)

Le retex du psy

Le retex du psy

Photo de Marek Piwnicki sur Unsplash

Profil de "Jean-Michel"

Jean-Michel est un homme de 35 ans, qui, depuis 2 ans, est convaincu que la maire de la ville dans laquelle il habite est éperdument amoureuse de lui.

D’après lui c’est sûr, le 13 décembre 2021 lorsque leurs regards se sont croisés pendant un discours de Mme la maire, cela voulait tout dire.

Il a fait tout son possible pour entrer en contact avec elle. Jean-Michel est parvenu à obtenir son numéro en faisant jouer ses contacts et depuis il la harcèle d’appels et de messages.

A cause de lui la maire a rapidement changé de numéro de téléphone. Jean-Michel envoie toujours de nombreuses lettres à Mme la maire et se rend même plusieurs fois par mois devant chez elle et y reste des heures.

Jean-Michel est convaincu que si Mme la maire ne se montre pas réceptive, alors qu’elle est amoureuse, c’est parce que leurs convictions politiques sont éloignées. Il est convaincu que l’ensemble de l’équipe de Mme la maire empêche cette dernière d’entrer en contact avec lui en vue de leur campagne de réélection.

Évidemment, il n’en est rien, Mme la maire est mariée depuis 15 ans et a deux enfants. Le comportement de Jean-Michel l’exaspère, mais lui fait surtout très peur, elle a déjà songé à déménager. Elle a également porté plainte à de nombreuses reprises, mais rien n’y fait. Elle hésite à consulter un psychologue pour parler de cette situation qui lui pèse ou encore à engager un garde du corps.

Jean-Michel : questionner pour se comprendre

Si j’avais Jean-Michel en psychothérapie, l’objectif serait dans un premier temps de le questionner pour tenter de l’amener à remettre en question ses comportements et ses modes de réflexion. La remise en question doit venir de lui et ne doit pas être induite par ma personne, ou le plus subtilement possible.

Ainsi je pourrais par exemple lui demander ce qui concrètement lui laisse penser que le 13 décembre 2021, lorsque leurs regards se sont croisés « cela voulait tout dire ».

Un second axe de mon travail auprès de lui serait de l’aider à aller consulter un psychiatre. Ensemble nous pourrions voir quels sont les freins qui l’en empêchent pour y réfléchir et tenter de les lever.

En effet, dans ce cas de figure le délire agit comme un vrai mécanisme de défense qui empêchera Jean-Michel de se rendre compte de sa pathologie, de ses pensées et comportements anormaux.

La prise d’un traitement prescrit par le psychiatre aidera à réduire le délire pour qu’ensuite la psychothérapie puisse réellement se mettre en place. Toutefois, selon la force du délire il peut s’avérer très complexe de convaincre Jean-Michel d’aller consulter un psychiatre.

Mme la maire : contrôler le contrôlable et accepter l’incontrôlable

La situation est très compliquée à vivre pour Mme la maire qui ne pensait jamais en arriver à ce stade alors que sa relative notoriété n’est que locale.

Ma psychothérapie avec Mme la maire serait à première vue en grande partie axée sur la dichotomie du contrôle. Elle doit être capable de faire la distinction entre les éléments qu’elle contrôle et ceux qu’elle ne contrôle pas.

Par exemple elle contrôle le fait d’aller porter plainte, ce qu’elle dira durant le dépôt de plainte ainsi que le nombre de fois qu’elle décide d’aller porter plainte.

Par contre, elle n’a absolument aucun contrôle sur les suites potentielles de ses plaintes.

De la même manière elle peut contrôler sa manière de réagir face à Jean-Michel mais pas les actions de Jean-Michel à son égard. Elle ne peut qu’accepter l’incontrôlable et agir sur ce qu’elle contrôle.

Ce premier axe de travail permettra d’en découvrir d’autres qui l’aideront mieux vivre la situation compliquée qu’elle vit.

Conclusion

Conclusion érotomanie

Photo de Roberto Nickson sur Unsplash

L’érotomanie est un trouble grave à prendre au sérieux. Son traitement devra nécessairement passer par la prise d’un traitement médicamenteux (antipsychotiques, neuroleptiques…) ET d’une psychothérapie. L’alliance des deux mènera à un combo gagnant qui offrira les meilleures chances de rémission.

Le plus dur sera la plupart du temps d’aider l’érotomane à aller consulter. Pour cela, questionnez-le, ne l’accablez pas ou n’essayez pas de lui dire ce qu’il a à faire. Si vous êtes un proche aidant, contentez-vous de planter quelques graines dans son esprit en le questionnant sur ses pensées et comportements à chaque fois que vous le verrez.

Bien que cela pourrait vous paraître inutile sur le moment, l’érotomane réfléchira à vos questions lorsque vous serez partis et une réflexion plus poussée pourrait germer en lui. Ne vous découragez pas face à la force de son délire qui l’empêchera de se remettre en question lorsque vous le questionnerez.

 

Surtout, prenez soin de vous, car il n’est pas facile dans le cas de l’érotomanie d’être un proche aidant.

Sources :​​

  • Anne-Laure Pontonnier, « Psychose et délire chronique », La Revue du Praticien, vol. 58,‎ 29 février 2008, p. 425-433.

  • Kelly BD. « Erotomania : epidemiology and management » CNS Drugs 2005;19(8):657-69. PMID 16097848 [archive] DOI 10.2165/00023210-200519080-00002

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